Paola Siri Renard’s sculptures are micro-architectures through which any individual can reclaim imperceptible architectural, cultural and normative realities via bodily experiments. Enlightened as much as distorted, they reveal formal grids and political structures which shape spaces and condition social interactions insidiously. The transcription process isolates and rescales generic ornaments, bestowing upon them an autonomy that is stripped from any context. They acquire their own (dys)functionality. The anachronistic symbolism creates interfaces that undermine Western architectural orders. Paola Siri Renard reveals normative aesthetic codes spreading throughout centuries, in parallel with injunctions that neglect bodies ; echoing the history of her Martinican and Swedish roots. Natural processes such as sloughing or fossilization interact with immutable ornamental layers, conferring upon them an aura of mutation. Emanating from this encounter, the metamorphic shapes of her test-instruments suggest imaginary displacement engines. Physical reappropriations of these besieging architectural growths question the treatment of designed heritage through the correlation between its circulation and the exclusion of specific identities.
Paola Siri Renard étudie et analyse notre appréhension de l'espace conditionnée par l'architecture via les codes qu'elle génère et véhicule dans notre inconscient collectif.
Au fil de ses investigations, l'artiste produit des sculptures et installations issues de son observation des espaces et des bâtiments qui régissent notre quotidien et fondent notre héritage culturel. Son séjour au Japon marque le point de départ de ses recherches et donne naissance à une série de pièces formant l'essence et les prémices de sa démarche, soit introduire et réinterpréter des données spatiales à travers les formes et les matériaux, inviter le corps à se mouvoir et à s'approprier les œuvres, faire émerger et signaler les traces du vivant par l'empreinte. C'est ensuite à Düsseldorf que l'artiste prend conscience de l'impact des informations architecturales reçues, et des normes qu'elles établissent et perpétuent. Face au post-modernisme exacerbé de la ville allemande, Paola Siri Renard remet en question le style gréco-romain, ses canons de beauté et le caractère exclusif de leur standardisation.
Elle s'intéresse aux « formes ornementales par excellence » dont l'origine contraste avec les valeurs qui leur ont été attribuées et qu'elles transmettent, et utilise ce hiatus pour créer des œuvres anachroniques au statut ambiguë. L'artiste prélève ces éléments architecturaux avec la volonté de les rendre accessibles aux individu-e-s en proposant une fonction intrinsèque à leur forme afin de défaire les représentations du pouvoir et de l'autorité qu'ils incarnent, et de nous libérer de leurs injonctions. De la même manière qu'ils ont été extraits de leur contexte et exportés, Paola Siri Renard opère par collage d'histoires et d'anecdotes en écho à un capital culturel singulier, et conçoit ses sculptures comme des engins de déplacement entre les siècles, entre les mondes et leurs mythes.
Son étude des attributs devenus apparats et artifices mène l'artiste à s'interroger sur la sexualisation des extensions du corps et leurs véritables fonctions. Un travail qu'elle poursuit en Belgique et associe au style gothique autour du concept de protection. Après la feuille d'acanthe et la palmette, les cheveux et la corne, l'artiste développe un univers constitué de peaux et d'écailles, de chrysalides et de carapaces, et s'empare des objets de défense naturels et fabriqués. Vaisseau ou armure, le vivant est toujours invité et placé au centre d'une intention fondamentalement fluide, propice à la métamorphose et à la fusion, génératrice d'environnements hybrides.
Du végétal à l'animal, des courbes charnelles et hélicoïdales aux lignes osseuses et nervurées, Paola Siri Renard nous transporte dans l'éternel sanctuaire d'une beauté brute et primordiale et crée une forte ambivalence par la qualité des éléments narratifs qu'elles convoquent.
Aurélie Faure, catalogue Révélations Emerige 2022, Octobre 2022
Paola Siri Renard studies and analyses our apprehension of space conditioned by architecture via the codes it generates and conveys in our collective unconscious.
Over the course of her investigations, the artist produces sculptures and installations resulting from her observation of the spaces and buildings that govern our daily lives and form the basis of our cultural heritage. Her stay in Japan marked the starting point of her research and gave birth to a series of pieces that form the essence and the beginnings of her approach, i.e, introducing and reinterpreting spatial data through forms and materials, inviting the body to move and appropriate the works, and bringing out and signalling the traces of the living through the imprint. It was then in Düsseldorf that the artist became aware of the impact of the architectural information received, and of the norms that they established and perpetuated. Faced with the exacerbated post-modernism of the German city, Paola Siri Renard questions the Greco-Roman style, its beauty canons, and the exclusive character of their standardisation.
She is interested in "ornamental forms par excellence" whose origin contrasts with the values they have been attributed and which they convey, and uses this hiatus to create anachronistic works with ambiguous status. The artist removes these architectural elements by proposing a function intrinsic to their form in order to undo the representations of power and authority that they embody, and to free us from their injunctions. In the same way that they have been extracted from their context and exported, Paola Siri Renard operates by collaging stories and anecdotes that echo a singular cultural capital, and designs her sculptures as devices of displacement - between centuries, between worlds and their myths.
Her study of attributes that have become pomps and artifices leads the artist to question the sexualisation of extensions of the body and their true functions. This work is continued in Belgium and associated with the Gothic style around the concept of protection. After the acanthus leaf and the palmette, the hair and the horn, the artist develops a universe made up of skins and scales, chrysalises and carapaces, and captures the natural and manufactured objects of defence. Vessel or armour, the living is always invited and placed at the centre of a fundamentally fluid intention, favourable to metamorphosis and fusion, generating hybrid environments.
From plants to animals, from the carnal and helical curves to the bony and ribbed lines, Paola Siri Renard transports us into the eternal sanctuary of a raw and primordial beauty and creates a strong ambivalence through the quality of the narrative elements they summon.
Aurélie Faure, Révélations Emerige 2022 catalog, October 2022
Dans l’espace urbain, l’architecture fige dans la matière les systèmes de relations politiques, sociales, économiques et symboliques des sociétés humaines. De ce patrimoine architectural nourrit d’une grande évolution de formes, du gothique à la contemporanéité, Paola Siri Renard retient l’importance du détail et souligne la possible mythification de la mémoire collective. S’appropriant la modénature historique des bâtiments qu’elle côtoie, médaillons, rosaces et détails végétaux, elle sculpte de nouveaux espaces prévus pour accueillir et abriter les corps, conférant alors à l’architecture une dimension défensive. L’artiste emprunte à la nature des procédés de calcification, de mue et de sécrétions pour conférer à ses architectures une aura d’instabilité. En plein processus de mutations profondes, entre fossilisation et montée de sève, ces protections naturelles tranchent avec une identité mécanique, structures métalliques, chaînes, hélices, qui transposent la résistance naturelle en auto-défense. Cette métamorphose dédoublée sous-tend ses pièces d’une double identité qui questionnent la violence culturelle et symbolique de l’architecture tout en faisant un lieu de repli et de protection.
Clément Justin, catalogue JEUNE CRÉATION 72ème édition, Avril 2022
Greffée au paysage urbain, implantée dans la mémoire collective, mythifiée par l’imaginaire et la fiction, l’architecture gothique dispose d’une histoire quasi millénaire rendue possible grâce à la dévotion de ses bâtisseurs et au respect inconditionnel de ses héritiers. Repère spirituel pour certains, visuel pour d’autres, ces édifices gardent une fonction commune à travers les siècles en tant qu’objet de pouvoir censé assujettir les fidèles autrefois, susciter la fierté d’une nation aujourd’hui. À travers une réinterprétation de ce style et de ses formes, Paola Siri Renard tend à questionner cet héritage, ce qu’il représente, ce qu’il symbolise. Ce patrimoine devient un objet plastique malléable dans le travail de Paola Siri Renard. Celui-ci vise à comprendre la charge symbolique de ces vestiges du passé en les manipulant, en les éprouvant, en les transformant, en se les appropriant. Moins par intérêt historique, cette appropriation est davantage un acte critique envers cet héritage imposé. La transformation de ce style opérée par Paola Siri Renard illustre la volonté de l’artiste de prendre du recul, de se protéger face à la symbolique immuable de ce patrimoine architectural. La référence au patrimoine historique est récurrente dans l’œuvre de Paola Siri Renard. Certains vestiges de l’Antiquité ont déjà fait l’objet de métamorphoses dans son travail qui procédait d’une réappropriation à la fois intellectuelle mais aussi physique, les éléments architecturaux étant transformés en sculptures interactives, le public pouvant s’y asseoir, les déplacer, les assiéger... Par ailleurs, à l’instar de l’inspiration florale de nombreux ornements architecturaux, Paola Siri Renard inverse cette tendance dans ses recherches plastiques en amorçant un retour de l’architecture vers la nature. La métamorphose de l’architecture, un des éléments anthropiques les plus durables, vers la nature évoque le cycle naturel et l’effet du temps. Dans son projet des RAVI, Paola Siri Renard associe le processus de fossilisation aux formes gothiques en leur conférant un aspect d’ossements figés dans le temps. Certes intemporels, ces éléments deviennent des vestiges dénués de toute fonction, tout en étant des sources à étudier, à analyser et à questionner. Dans les expérimentations de Paola Siri Renard, les éléments gothiques gagnent une extension naturelle pour atteindre un stade inédit. La métaphore d’une protection envers cet héritage patrimonial se voit matérialiser dans la fusion de ces vestiges avec des formes naturelles liées à la défense, telles que la chrysalide et la carapace. La métamorphose de ces vestiges confère donc à ces derniers une toute autre existence, tout en gardant une subtile influence de leur état architectural qui se manifeste par des jeux de lumière avec une peau écaillée reproduite dans une cire translucide ou avec cette imbrication d’éléments gothiques formant une carapace, parallèle du rôle protecteur que se donnait l’église, la maison de Dieu. Au pied des structures surélevées, des hélices évoquant la chrysalide font référence au mouvement, métaphore de l’état de transition dans laquelle se trouvent ces pièces. À ces associations, viennent s’ajouter une série de détails et de références au rôle protecteur de certains objets. La carapace, est, en effet, supportée par des objets hybrides, fruits de la fusion entre des clés, garants de la sécurité d’un bâtiment, et des Kubotans, armes de poche de self-défense. Paola Siri Renard élabore une œuvre complexe aux multiples références, fruit d’un syncrétisme aux résonnances politiques et sociales. Ses réappropriations, métamorphoses et métaphores créent une vision du monde en marge du discours dominant mais qui offre une vue critique d’une forme d’inéluctabilité dans le champ de l’interprétation collective du patrimoine historique et de toute autre forme du pouvoir.
Thibaut Wauthion, RAVI Résidences-Ateliers Vivegnis International catalog, December 2021
Paola Siri Renard envisage ses objets, sculptures et installations comme des « micros architectures ». Leur dimension implique leur appréhension par le geste et l’action développés dans le temps : le corps s’y confronte. Par leur forme, elles rappellent des références mathématiques : les axes x, y, et z notamment forcent au déséquilibre en même temps qu’ils définissent l’espace dans lequel nous évoluons - l’inclinaison de 15° est le déséquilibre maximal auquel un corps peut résister à la chute. L’inconfort, la tension et le réflexe viennent alors nous mettre à l’épreuve.
Son travail induit un système de rapports entre forme, matière, architecture et espace, matérialisant des lois de réduction, agrandissement, transposition, inclinaison, circulation qui placent toujours le corps en sujet de l’expérience. Dans cet univers en partie régi par le vide, la notion de gravité et les points de contact sont essentiels. Le volume lui-même devient instrument-test, force physique qui s’appréhende par sa périphérie : se mouvoir autour de ces sculptures, tenter de les circonscrire et quantifier l’invisible.
Que représentent les « données abstraites » qui constituent la base de ton travail ?
Les données abstraites sont les systèmes de mesures physiques arbitraires qui conditionnent notre approche au monde en terme d’appréhension des corps à l’espace. Ces bases rationnelles immuables sont nécessaires à une réalité vivable et c’est cela que je tente de transcrire et de matérialiser afin de soulever des questions non résolues quant à ces réalités. Ces données régissent des événements significatifs, des mouvements insaisissables, elles sont matière à manipuler de façon tangible une abstraction.
Pourrait-on dire que par leur invitation à être activées, testées, challengées, tes sculptures constituent presque des « événements » ?
C’est dans l’appréhension sensorielle directe que s’induit un rapport de force entre les différentes matérialités corporelles et sculpturales. L’action et son geste confèrent une temporalité à l’objet, voire son accomplissement. Il s’agit d’explorer le corps réel - son empreinte, son mouvement, ses limites - comme outil de relation indéniable à la sculpture. Souvent, de multiples positionnements distincts fusionnent en une sculpture-objet, une qualité d’instabilité et de semi-permanence qui ne peut être éprouvée que par l’acte immédiat de s’y confronter.
FELICITÀ 18, exhibition catalog, interview by Elisa Rigoulet, Beaux-Arts de Paris Les Éditions, Paris, June 20